Poyer, Jean

Dates :

? - mort avant 1504

Profession principale :

scuplteur

Œuvres notables

Les Heures Briçonnet, v. 1485-1490, Haarlem, The Teylers museum, MS 78.
Retable de Liget, 1485, huile sur bois, h. 143 cm (110 cm pour les panneaux latéraux), l. 283 cm, Loches, château.
Livre d’Heures d’Anne de Bretagne, v. 1492-1495, New York, The Pierpont Morgan Library, MS M. 50.
Petites Heures d’Anne de Bretagne , v. 1497, dont un feuillet a été identifié: Pietà, Philadelphie, Free Library, Lewis M.11.15a.
Les Heures de Henry VIII, v. 1500, New York, The Pierpont Morgan Library, MS H. 8.
Le Triptyque de la Madeleine, v. 1500-1505, huile sur bois, trois volets :
La Prédication du Christ et Noli me tangere, H. 120, L. 92 cm, Censeau, Notre-Dame-de-l’Assomption.
Le Repas chez Simon le Pharisien, H. 118, L. 200 cm, Lons-le-Saunier, Conseil général du Jura.


 

La vie et la personnalité de Jean Poyer, l’un des peintres les plus renommés de la fin du XVe siècle, demeurent en grande partie insaisissables. Peu de documents attestent du travail de l’artiste et la composition d’un corpus s’est avant tout fondée sur des comparaisons stylistiques.

 

Une carrière encore mal connue

Les connaissances sur les origines et le début de la carrière de Poyer sont encore lacunaires. On ignore s’il avait des liens avec Mathelin Poyer, un peintre actif à Tours entre 1450 et 1453 [Wieck, 2000, p. 15 et Giraudet, Histoire de la ville de Tours, 2020, vol. 1, p. 172] et s’il faut l’identifier au « Jehan Pohier » qui reçut en 1465 un paiement de la ville pour des écussons [Girault, 2016p. 108]. Certains historiens de l’art en doutent et réfutent une activité si précoce [Avril, Reynaud, 1993, p. 306].

En 1483, le peintre réalisa un décor héraldique pour les funérailles de la veuve de Louis XI, la reine Charlotte de Savoie [Wieck, 2000, p. 15] dont il fut un des peintres officiels. À ce titre, il reçut le tissu nécessaire pour confectionner des habits de deuil pour participer au cortège funèbre [Gaude-Ferragu, 2009]. À Tours, il dirigea les préparatifs de mystères joués pendant l’entrée royale de 1491, où il collabora avec le peintre Henri Lallemant, et de 1498, où il supervisa le décor du mystère des Triomphes de Pétrarque. [Renumar, 8 juin 1492] [Girault, 1995, p. 75].

 

Pietà, Jean Bourdichon, v.1498-1502, enluminure sur parchemin extraite des Heures de Louis XII, 27,5 x 19 cm, Philadelphie, Free Library, Lewis E M 11:15A.
Crédits : https://libwww.freelibrary.org/digital/item/3212

L’activité de Poyer en tant qu’ « enlumineur et historieur » n’est attestée que par une seule source. En 1497, il fut rémunéré pour d’importants travaux sur des « petites heures » copiées par Jehan Riveron et destinées à Anne de Bretagne. Il dut notamment peindre vingt-trois « histoires riches » dont l’une d’elles, une Pietà, a été identifiée dans un feuillet conservé à la Free Library de Philadelphie. Alors que les archives brossent le portrait d’un artiste polyvalent, à la fois peintre d’héraldique, de décor de théâtre et de miniatures, les sources littéraires démontrent que Jean Poyer jouissait d’une excellente réputation, même plusieurs années après sa mort. Jean Lemaire de Belges, dans La Plaicte du Désiré écrite en 1503, le mentionne parmi les plus brillants artistes décédés, aux côtés de Fouquet, Rogier van der Weyden et Hugo van der Goes [Wieck, 2000, p. 17]. En 1509, Jean Pélerin cite Poyer parmi les « grans esperiz » dans son traité De artificiali perspectiva et en 1556, Jean Brèche, un juriste tourangeau, juge son talent supérieur à celui de Fouquet et de ses deux fils [Hearne and co, 2000, p. 19].

 

Un peintre au service des Grands

Les historiens de l’art ont donc été confrontés à une contradiction : les sources étaient peu nombreuses, les œuvres documentées inexistantes et pourtant le peintre avait connu une postérité brillante bien qu’éphémère. Le corpus de l’artiste a donc été établi à partir d’un ensemble de déductions. Poyer avait travaillé après Fouquet et avait subi son influence. Par ailleurs, son activité se déroula en même temps que celle de Bourdichon. Or, un ensemble d’œuvres, longtemps attribuées à ce dernier, possède des caractéristiques qui permettent d’y voir une main singulière, qui ne peut être que celle de Poyer [Avril, Reynaud, 1993, p. 306].

 

Retable du Liget, Jean Poyer, 1485, huile sur bois (chêne), 143 x 283 cm, Loches, Galerie Antonine, extrait de Béatrice de Chancel-Bardelot, Pierre-Gilles Girault, Jean-Marie Guillouët, Pascale Charron (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.
Crédits : ??

 

L’analyse stylistique a permis d’établir la chronologie des œuvres. Le Retable du Liget, un grand triptyque daté de 1485 représentant une Crucifixion flanquée d’un Portement de croix et d’une Mise au tombeau est considéré comme son œuvre la plus précoce. Les Heures Briçonnet, stylistiquement proche du retable (Haarlem, Teylers Museum), furent vraisemblablement exécutées vers 1485-1490. Le commanditaire, Guillaume Briçonnet, était un homme influent issu d’une puissante famille tourangelle, qui accéda à plusieurs charges royales puis ecclésiastiques. À la date du manuscrit, il cumulait le titre de cardinal, d’évêque de Saint-Malo et d’archevêque de Reims. Une commande de la part d’un personnage d’une telle envergure indique que Poyer jouissait déjà d’une bonne réputation. Même s’il ne possédait pas le titre de peintre du roi (contrairement à Fouquet et Bourdichon), il travailla plusieurs fois pour la Couronne. Entre 1492 et 1495, il enlumina un petit livre de prières pour la reine Anne de Bretagne, mais destiné à l’éducation religieuse du jeune dauphin Charles-Orland, représenté agenouillé à la fin du volume. L’évolution est sensible par rapport aux Heures Briçonnet [Wieck, 2000, p. 24-25] : les couleurs, plus lumineuses, prennent des tons pastel, la manière est plus rapide, les coups de pinceau sont plus visibles, et le canon des figures est plus allongé. Vers 1494-1495, il peignit pour le roi un diptyque en pleine page avec d’un côté les armes de Charles VIII et de l’autre le jeune souverain présenté par Marie-Madeleine au Christ jardinier (New York, Pierpont Morgan Library, MS M. 250) [Les manuscrits à peinture, 1993, cat. 170]. Si les archives font bien état de plusieurs travaux d’héraldique, le blason – les deux écus du roi surmontés d’un heaume couronné et flanqué de deux lambrequins fleurdelisés – atteste d’un vrai savoir-faire dans ce domaine. La miniature de la page opposée possède toutes les caractéristiques de la dernière manière du peintre. Le motif du jardin clos interposé entre la scène principale au premier plan et la ville dans le lointain sera par exemple repris dans l’Annonciation des Heures d’Henri VIII (New York, The Pierpont Morgan Library, MS H. 8), un manuscrit richement enluminé vers 1500.

 

Triptyque de Marie Madeleine, Jean Poyer. Panneau droit : La Prédication du Christ, Jean Poyer, XVIe siècle, Peinture sur bois, 90 x 80 cm, Censeau, Église Notre-Dame-de-l’Assomption.
Panneau centrale : Le Repas chez Simon le Pharisien, Jean Poyer, XVIe siècle, peinture sur bois, 118 x 200 cm, Lons-le-Saunier, Conseil général du Jura.
Panneau droit : Noli me tangere, Jean Poyer, XVIe siècle, peinture sur bois, 90 x 80 cm, Censeau, Notre-Dame-de-l’Assomption.
Crédits : Photo © Alain Tournier/CD39

 

Le Christ jardinier aux membres allongés placé à côté d’un arbre servira par ailleurs de modèle pour le Noli me tangere du Triptyque de la Madeleine, une œuvre plus tardive et récemment entrée dans le corpus de Poyer [Elsig et Avril, 2002 ; Tours 1500, cat. 68]. La Prédication du Christ, le Noli me tangere (tous les deux conservés à Censeau, église Notre-Dame de l’Assomption) et Le Repas chez Simon le Pharisien (Lons-le-Saunier, Conseil général du Jura) formaient un triptyque consacré à sainte Marie Madeleine conçu par Poyer pour Jean IV de Chalon, prince d’Orange et cousin d’Anne de Bretagne. Si le panneau central (Le Repas) semble bien autographe, les deux autres, aux accents proto-maniéristes, pourraient avoir été peints ou terminés par un de ses assistants [France 1500, cat. expo, p. 147].

Les architectures et la maîtrise de la perspective et de l’espace attestent d’une connaissance directe de l’art italien. Poyer effectua en effet deux séjours de l’autre côté des Alpes : le premier, aux alentours de 1485 en Italie septentrionale, qui explique les accents mantégnesques du Retable du Liget, et le second, vers 1500, qui a laissé son empreinte dans les œuvres tardives comme le Triptyque de la Madeleine [Villa, 2017, p. 507].

 

Bibliographie

Avril François, Reynaud Nicole, Les manuscrits à peinture en France, 1440-1520, catalogue de l’exposition du 16 octobre 1993 au 16 janvier 1994 à la BnF de Paris, Paris, Flammarion, 1993, p. 306-318.
Elsig Frédéric, Avril François, « Un Triptyque de Jean Poyet », dans Revue de l’art, 135, 2002-1, p. 107-116.
Girault Pierre-Gilles, « Jean Poyet peut-il être l’auteur des Heures du Tillioy ? », dans  Revue de l’art, 110, 1995, p. 74-78.
Girault Pierre-Gilles, « Quelques artistes tourangeaux et leurs clients en quête d’identité : de Jean Fouquet au Maître de Claude de France », dans Art et société à Tours au début de la Renaissance, actes du colloque du 10 mai au 12 mai 2012), Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Turnhout, Brepols, 2016, p. 94-114.
Hofmann Maria, « Jean Poyer », dans Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, p. 243-246.
Wieck Roger, Voelkle William, Hearne Michelle,  The Hours of Henry VIII, A Renaissance masterpiece by Jean Poyet, New York, George Braziller, The Pierpont Morgan Library,  2000.
Villa Rafael, « Jean Poyer et la fortune du Pérugin en France », dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, T. 79, n° 3, 2017, p. 503-527.


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